Nos amis d’Handirect ont rencontré Dorine Bourneton, pilote en situation de handicap devenue célèbre après avoir présenté un avion en vol au Salon du Bourget, en 2011. Focus sur une histoire hors du commun !
Raconte-nous ton parcours de pilote.
Je me souviens encore de mon baptême de l’air, c’est un des souvenirs d’enfance que j’ai toujours en mémoire. C’était à l’aérodrome d’Aulnat, j’avais 8 ans. Je découvrais cet univers si particulier qui règne dans les aéro-clubs et j’étais émerveillée : Les allures d’acteurs de cinéma des pilotes, vestes en cuir et Ray-Ban, m’impressionnaient.
Mon père était aux commandes pour prendre une de ses premières leçons et moi à l’arrière de l’avion… C’était un vrai baptême, avec toute l’étrangeté qui l’accompagne, la multitude impressionnante de boutons et d’instruments, les paroles mystérieuses échangées avec la tour de contrôle, cette impression merveilleuse de s’envoler.
D’où te vient cette passion pour le pilotage ?
Mon père étant mordu d’aviation, c’est assez naturellement que j’ai eu envie de le suivre pour partager. À 15 ans, je me suis inscrite à l’aéro-club. Il était situé à 60 kilomètres de mon village, ce qui n’a fait qu’ajouter au difficile apprentissage. Pour financer ces premiers cours j’avais économisé et travaillé l’été. Malheureusement je ne volais pas assez et mes débuts ont été peu encourageants, il n’y a pas de secret : pour être un bon pilote, il faut voler ! Le 12 mai 1991, j’ai été victime d’un accident d’avion. Cette tragédie aurait conduit n’importe qui à détester l’avion, à renoncer au pilotage… Mais la passion était plus forte, c’est même elle qui m’a permis de revenir à la vie. Depuis, j’ai pris bien d’autres avions avec une joie intacte, c’est peut être ça la passion.
Quelles ont été les plus grandes difficultés que tu as dû dépasser pour apprendre à piloter ?
J’ai entamé une « carrière de femme-pilote » un peu à l’envers… Mais bon ! J’ai souvent fait les choses un peu à l’envers. D’ailleurs c’est peut être pour cette raison qu’aujourd’hui je me lance dans la voltige aérienne… On y apprend à voler à l’envers !
L’une des difficultés majeures était donc le financement des cours. Mais puisqu’on m’avait sauvée la vie, j’allais me battre pour réaliser mon rêve. J’ai appris qu’il existait des avions équipés de commandes manuelles de pilotage à Toulouse Lasbordes. J’ai passé mon permis de conduire et quitté l’Auvergne pour Toulouse, la terre qui a donné naissance à l’aviation. C’est là que je voulais renaître. Portée par les encouragements de mon instructeur, j’ai repris mes cours, bossé, et fait mes heures. Piloter un avion juste avec sa tête et ses mains demandait une force et une endurance que je n’avais pas. Alors je me suis accrochée et j’ai obtenu mon brevet de pilote en avril 1995, quatre ans après l’accident. Le vol a duré trois heures et vingt minutes, avec un examinateur qui ne m’a rien épargné.
Quels sont les personnes qui t’ont le plus aidée dans tes démarches ?
Les personnes qui m’ont vraiment soutenue sont celles de l’aéro-club ainsi que mes nouveaux copains, eux-mêmes élèves pilotes handicapés. Une autre personne a aussi beaucoup compté : Eugène Bellet. Directeur d’un centre de réinsertion et de formation professionnelle pour adultes handicapés, c’est lui qui a fait fabriquer le dispositif de pilotage manuel.
Depuis l’obtention de ton brevet de pilote, as-tu l’occasion de piloter régulièrement ?
Juste après mon brevet, j’ai beaucoup volé, participé à des meetings, au Tour Aérien des Jeunes Pilotes – compétition de haut niveau qui récompense les jeunes pilotes – et même créé une patrouille aérienne de trois avions, sponsorisée par Breitling. Mais moi, je voulais en faire mon métier, vivre de cette passion !
Une passion se développe rarement seule, et je dois beaucoup aux rencontres que j’ai faites. Grâce à un travail d’équipe sans relâche aux côtés de Guillaume Féral, Brigitte Revellin-Falcoz, et Luc Adrien – pour les missions de surveillance de feux de forêts mises en place avec les pompiers du Lot et Garonne – , nous avons obtenu en novembre 2003, par Dominique Bussereau, alors secrétaire d’état aux transports, la signature de l’arrêté ministériel ouvrant l’accès à la licence de pilote professionnel aux pilotes handicapés des membres inférieurs. C’est ma vraie fierté, d’avoir pu faire de ce rêve impossible une réalité. En ce jour, le métier de pilote est donc devenu accessible aux personnes handicapées : la surveillance de feux de forêts, le transport de fret, l’instruction… Depuis, sept pilotes ont ainsi été diplômés.
Aujourd’hui tu abordes un niveau supérieur, la voltige aérienne, ce qui demande à la fois du courage et de l’audace… mais est-ce suffisant ?
J’aime à dire que toutes ces femmes pilotes – notamment Hélène Boucher et Maryse Bastié que j’avais tant admirées dans mon enfance – ont eu des vies faites d’exploits suivis de tragédies. La mienne a commencé par une tragédie. Il me reste les exploits à réaliser…
Après le vol au Salon du Bourget 2011, le plus grand salon aéronautique du monde, ont suivi des années creuses. Mille choses me tenaient éloignées des aérodromes, dont mes responsabilités quotidiennes de maman à roulettes.
Jusqu’au jour où Guillaume Féral, mon ami de toujours, m’a proposé de me lancer dans la voltige aérienne, ce dont j’avais rêvé durant des années. Et, qui plus est, au sein de la meilleure école civile de voltige aérienne : l’Amicale de Voltige Aérienne (AVA), reconnue pôle sportif de haut niveau.
J’ai hésité, puis lors d’un passage à l’aéro-club un ami m’a emmené en vol. Ce fut un enchantement, j’étais conquise. Je me suis donc inscrite à un stage. Mais il a fallu trouver un sponsor car ce type de vol coûte très cher. C’est Airbus qui a accepté de financer ma formation, et je suis heureuse d’être soutenue par une aussi grande industrie de l’aéronautique. Avec Régis, mon instructeur, nous écrivons à présent un nouveau paragraphe dans l’histoire de l’aviation. Je pense que cette nouvelle aventure va compter tant dans le milieu de l’aéronautique que dans celui du handicap.
Tu es la première femme handicapée au monde à entreprendre ce type de formation. Quelles sont tes ambitions ?
Je souhaite ouvrir une voie pour les futures générations de pilotes handicapées et donner de l’espoir et du courage à beaucoup de gens dont la vie est parfois jalonnée de barrières qui paraissent impossibles à franchir.
Toute ma vie je me suis efforcée de faire de cet impossible… un possible. Je veux montrer à quel point il est important de ne jamais abandonner ses rêves et d’entretenir précieusement cette joie de vivre qui nous donne la force de les accomplir.
D’autre part, la pratique de la voltige m’a aidée à retrouver une estime de moi-même et à éviter le repli. En ce sens, Régis, mon instructeur, m’incite à me dépasser et m’encourage à faire plus tard de la compétition, avec des valides. Peut-être que je piloterai même un jour un monoplace de 310CV, appareil qui est à l’aviation ce que la Formule 1 est à la voiture.
Si le pilotage est un plaisir individuel, en revanche, l’aviation est une aventure collective. Je pense qu’au sein de l’AVA, j’apporte autant que je reçois. Je reste reconnaissante des rencontres que j’ai pu faire avec des personnes exceptionnelles. Elles m’ont permis de garder l’espoir et de renforcer ma détermination à vivre une vie utile aux autres.
Dans le cadre de leur dossier « Piloter avec un handicap », Handirect a rencontré Régis Alajouanine pilote de voltige de niveau international, co-fondateur de l’Amicale de Voltige Aérienne (AVA) et entraîneur qui a formé à ce jour plus d’une centaine de pilotes de voltige. Il forme également Dorine Bourneton.
Depuis quand pratiquez-vous la voltige aérienne ?
Je pratique la voltige depuis 1977 et je suis entraîneur depuis 1978.
Quel parcours faut-il suivre pour pratiquer la voltige ?
Le parcours normal passe par l’obtention du brevet de pilote. À partir de là, vous pouvez immédiatement commencer à pratiquer la voltige. L’âge requis pour passer le brevet de pilote est de 15 ans. Ensuite cela dépend de votre motivation. La voltige permet une meilleure maîtrise de l’avion, notamment en cas de problème, car vous prenez l’habitude de garder la tête froide en situation chaotique. Cela permet entre autres de ne pas se fier qu’aux instruments.
Combien y a-t-il de clubs de voltige aérienne en France ?
La Fédération Française Aéronautique compte 600 clubs dont 60 qui proposent la pratique de la voltige. Cela représente à peu près 5000 pratiquants.
Depuis quand connaissez-vous Dorine Bourneton ?
Je la connais depuis le début de l’été 2014, lorsqu’elle a souhaité se lancer dans la voltige. J’avais cependant déjà entendu parler d’elle.
Quels sont les pré-requis pour pratiquer la voltige ?
Il faut d’abord être pilote, avoir une grande motivation, beaucoup d’humilité dans le travail et beaucoup d’engagement. Il faut ensuite avoir le budget pour se former. Cette discipline nécessite beaucoup de travail sur de nombreuses années. La perfection n’est jamais acquise, il faut sans cesse s’améliorer. Dans ce monde, être le meilleur ne veut rien dire, car trop de paramètres entrent en ligne de compte.
Le handicap de Dorine est-il un obstacle à sa progression ?
Son handicap n’empêche en rien sa progression. Il faut d’abord une bonne dextérité des bras et des mains, ce qu’elle possède. En pilotage, les pieds sont rarement utilisés et souvent mal. Ils sont dangereux et peuvent êtres mortels car trop souvent mal maîtrisés. Je pense que n’importe quelle personne paraplégique peut devenir pilote. Cela n’a rien d’exceptionnel. C’est un milieu très ouvert. Il faut simplement pouvoir accéder aux commandes et être volontaire. Dorine est un exemple dans le milieu de l’aviation française et nous montre qu’il ne faut pas sans cesse se plaindre.
Quel niveau peut-elle atteindre ?
Elle peut atteindre tous les objectifs qu’elle se fixe. Je sais que le premier est de faire une démonstration au salon du Bourget en juin 2015. Ce sera sans problème après avoir effectué ses 40 heures d’apprentissage. Le plus compliqué pour tous les pilotes, reste l’atterrissage et le décollage. Sa démarche est audacieuse, mais elle a autour d’elle une équipe qui peut l’aider à accéder au plus haut niveau. Nous la verrons sans doute aux championnats du monde de voltige aérienne à Châteauroux en août 2015, pour des démonstrations. Par la suite, elle pourra faire de la compétition et même piloter un monoplace, ce qui représente le must des avions de voltige aérienne. C’est tout ce que nous lui souhaitons.
Et vous, que pensez-vous de ce parcours ? La parole est à vous !
Retrouvez plus d’informations sur les sites internet de la Fédération Française Aérienne et de l’Amicale Voltige Aérienne
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