Nos partenaires d’Handirect nous proposent aujourd’hui de parcourir l’histoire de l’emploi et du handicap. Faites chauffer le moteur de la DeLorean, c’est parti !
Comment est apparue la notion de handicap ? Comment est venue l’idée de mettre en place des dispositions spécifiques aux travailleurs handicapés ? La perception de l’emploi des personnes handicapées a-t-elle changé au fil des époques ? Rencontre avec Henri-Jacques Stiker, historien et intervenant associatif.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
J’ai mené une double carrière, théorique et pratique. J’ai travaillé en milieu universitaire où j’ai été habilité à diriger des recherches – anthropologie historique de l’infirmité. J’ai conduit des travaux de recherche, et notamment dirigé des thèses dans le cadre du laboratoire « Identités, cultures, territoires » de l’Université Paris 7 Diderot. En parallèle, j’ai travaillé sur le terrain en m’investissant au niveau associatif auprès de personnes en situation de handicap. J’ai ainsi parcouru un petit peu tout le spectre du handicap – visuel, auditif, psychique, mental… J’ai également fondé avec des historiens la société Alter pour l’histoire des déficiences et handicaps.
Depuis 2007, nous publions dans ce cadre la revue bilingue internationale Alter, reconnue comme une revue de haut niveau scientifique. Nous avons créé en parallèle une association qui organise tous les ans des journées d’étude ouvertes à tous dans différents endroits du monde : Portugal, Belgique, France… Aujourd’hui âgé de 80 ans, je continue à travailler au sein du laboratoire de Paris 7, mais je vais moins sur le terrain.
Comment la notion de handicap est-elle apparue ? La signification du mot « handicap » a-t-elle évolué au fil des époques, et si oui de quelle manière ?
La notion de handicap a été adoptée en France et dans l’ensemble des pays européens au milieu du XXe siècle, juste après les guerres mondiales. Auparavant, on utilisait les termes d’infirmité, impotence, invalidité, estropié… Le mot handicap est apparu en raison d’une demande très forte de la part des invalides de guerre et des accidentés du travail souhaitant retravailler. Les mots utilisés auparavant sont donc apparus comme inadaptés.
Une masse très importante d’hommes abîmés par le fait social, et non par le fait du hasard, ont en effet manifesté leur volonté de retrouver une place dans la société, moyennant un ré-entraînement. Ayant déjà travaillé, il leur semblait inconcevable de ne plus avoir d’occupation professionnelle pour le restant de leur vie.
Pour que cela ait un sens, il était nécessaire d’équilibrer les forces pour créer une meilleure équité entre les candidats. Soit en freinant les personnes « les plus fortes » en leur ajoutant une charge, soit en donnant des avantages aux « plus faibles » pour améliorer leurs chances.
C’est là la raison de l’adoption de ce mot appliqué aux personnes déficientes. Le fait qu’un avantage ou désavantage puisse provenir de l’extérieur était alors une idée nouvelle. Avant, la déficience tombait de façon naturelle. Dès lors, elle pouvait provenir d’un fait social, travail ou guerre, ce qui justifiait qu’une forme d’égalité soit rétablie entre chacun.
Ainsi, dans les années 1950, le mot « handicap » a été choisi en référence à la notion de handicap déjà utilisée dans le cadre sportif, et visant à ramener une équité entre deux candidats s’affrontant sur une course ou dans un match par exemple.
Le terme « handicap » a été utilisé dans la loi pour la première fois en 1957, pour évoquer la situation des invalides de guerre et des invalides civils. S’en est suivi le rapport de François Bloch-Lainé, rédigé en 1967 qui a introduit l’idée d’inadaptation pour les personnes handicapées, en incluant aussi bien les enfants que les adultes en situation de handicap. Ce texte a été décisif pour préparer la loi de 1975 en faveur des personnes handicapées. La Grande-Bretagne a ensuite abandonné, avant d’autres, le terme handicap au profit de celui de « disability ».
Comment s’est construit l’accès au travail des personnes handicapées ? Pouvez-vous retracer l’évolution des droits des travailleurs handicapés au fil du temps ?
On peut remonter jusqu’à la révolution française, lorsqu’on éduquait les jeunes aveugles en vue de leur donner une possibilité de gagner leur vie. Cependant cela n’a pas été très efficace car il s’agissait d’instituts relativement fermés. C’est vraiment à partir des deux guerres mondiales que les choses ont changé.
Il faut se souvenir que pendant des siècles les personnes handicapées étaient considérées « de droit » comme dispensées du travail, au même titre que les enfants, les vieillards et, souvent, les femmes, et relevaient de l’assistance et de la charité. Il a donc fallu que les mutilés de guerre qui travaillaient auparavant se fassent entendre. Les tuberculeux ont également joué un rôle important en faisant reconnaître leur maladie comme un handicap. Ils ont permis de faire entrer d’autres types de troubles, notamment la maladie, dans le champ du handicap.
La première loi obligeant les entreprises à avoir dans leurs effectifs 10 % de travailleurs handicapés date justement de 1924. Bien que cette obligation n’ait pas été très respectée au début, elle existait tout de même.
D’abord réservée aux invalides de guerre, cette disposition s’est appliquée à partir de 1930 aux accidentés du travail, puis à partir de 1957 à tout type de handicap.
La loi de 1957 a renouvelé l’obligation initiale et utilisé pour la première fois la notion de « travailleur handicapé », pour définir le cas d’une personne qui a des difficultés à trouver ou garder un emploi en raison d’une déficience. Elle a également précisé l’obligation pour les entreprises d’embaucher 10 % de travailleurs handicapés en distinguant deux catégories de travailleurs : 7 % d’invalides de guerre, et 3 % d’invalides civils. À l’époque, c’était une obligation de moyens – prendre toutes les mesures pour essayer d’atteindre un objectif – et non une obligation de résultat – atteindre l’objectif en toutes circonstances.
C’est seulement en 1987 que l’obligation de résultat a été fixée, lorsque l’obligation pour les entreprises d’embaucher 6 % de travailleurs handicapés a été instaurée, avec la possibilité de se libérer de cette obligation de différentes manières. Désormais, si la Direction du travail constate qu’une entreprise de 20 salariés ou plus ne respecte pas l’obligation d’emploi de 6 %, elle lui réclame une cotisation qui sera versée à l’Agefiph, organisme collecteur.
Entre temps, la loi de 1975 a réaffirmé le droit au travail, mais ce texte portait sur le handicap, et non sur l’emploi en tant que tel.
Est ensuite venue la loi du 11 février 2005, comprenant un volet emploi important. Sans changer les dispositions fondamentales instaurées par la loi de 1987, il a instauré un changement du mode de calcul de la contribution et des différents moyens ouverts pour remplir l’obligation d’emploi.
Les entreprises de 20 salariés et plus ont aujourd’hui le choix : embaucher 6 % de travailleurs handicapés, faire travailler indirectement des salariés handicapés en ayant recours au secteur protégé, conclure des accords d’entreprise avec des objectifs planifiés en lien avec les partenaires sociaux, mener des actions de sensibilisation.
Comment percevez-vous l’évolution de l’emploi des personnes handicapées sur les dix dernières années ?
Sur le plan quantitatif, je trouve les résultats assez stagnants, notamment en raison de facteurs tels que le chômage et la frilosité des entreprises à créer des postes en période de crise économique. De plus, la tertiarisation et la multiplication des entreprises de services font que de plus en plus d’offres d’emploi s’adressent à des profils très diplômés – commerciaux, ingénieurs, intellectuels… – sur lesquelles peu de personnes handicapées peuvent postuler si elles sont faiblement diplômées.
Par contre sur le plan qualitatif, et en particulier en termes de sensibilisation, je pense que d’importants progrès sont intervenus sur les dix dernières années. Les réticences et préjugés ont diminué au profit d’une vision beaucoup plus positive du travail des personnes handicapées.
Aujourd’hui les entreprises travaillent davantage sur la diffusion d’informations en interne et cela se ressent sur l’évolution des mentalités. Cela reste tout de même à nuancer, car des préjugés persistent encore selon les secteurs, mais globalement nous avons progressé sur la question de l’insertion des personnes handicapées.
Considérez-vous que la loi du 11 février 2005 a marqué un tournant historique ? Ou… pas tant que cela ?
D’un certain point de vue, c’est un véritable tournant car cette loi distingue clairement les questions de la compensation et de l’aide à l’individu de la question de l’aménagement de l’environnement et de la société. Elle a élargi le spectre du handicap dans le sens où elle a écumé davantage de cartes – sur les différents handicaps – et donc pris en compte l’évolution de l’idée qu’on se fait du handicap. Elle tente d’intégrer le texte de l’OMS (2001), bien que la définition du handicap qu’elle propose laisse beaucoup à désirer par rapport à l’évolution des conceptions au niveau international.
En revanche, sur le plan de l’accessibilité, elle est restée un peu timide car elle n’a pas donné une définition interactive du handicap : elle prend en compte les difficultés qui surviennent en raison d’une déficience, mais pas l’idée que le handicap résulte de la conjugaison personnelle – santé – avec l’environnement et l’aménagement.
Puis le gouvernement a plus ou moins différé les obligations d’accessibilité en instaurant des assouplissements. Donc oui, c’est un pas considérable, mais attention, car il y a beaucoup de freins à l’accessibilité, et l’environnement n’est pas pris en compte. On regarde encore le handicap du point de vue de la déficience uniquement, alors que l’environnement est l’un des facteurs principaux.
Comment envisagez-vous l’évolution pour les années à venir ?
Je pense que les personnes handicapées vont devenir de plus en plus participatives, demanderont et obtiendront plus souvent la parole, et seront de plus ne plus consultées.
Ce sont elles qui vont promouvoir leur situation et bientôt les autres s’apercevront qu’ils ne peuvent pas se passer de leur avis et de leur savoir. Et dès l’instant où elles auront la parole, cela favorisera l’image que l’on se fait des personnes handicapées. Ce constat est d’ailleurs ressorti clairement d’un groupe de travail auquel j’ai récemment participé : « Réfléchir le management au miroir du handicap », dont les travaux ont été publiés aux éditions Le Bord de l’eau.
Propos recueillis par Caroline Madeuf
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