Aujourd’hui, nous vous présentons Écart de conduite, une auto-école lyonnaise adaptée aux personnes sourdes et malentendantes. Une interview réalisée par nos partenaires d’Handirect.
Écart de conduite : l’interview
Dolorès Robert est directrice de l’auto-école Écart de conduite, la seule auto-école de la région lyonnaise qui propose une formation au permis de conduire adaptée aux personnes sourdes et malentendantes. L’originalité de son initiative a été récompensée par deux fois en décembre 2013 : elle a reçu le Prix de l’innovation durable et responsable du trophée Initiatives Ô Féminin, et le Prix Rebond du concours Lyon Ville de l’Entrepreneuriat.
Pouvez-vous nous raconter l’histoire de l’auto-école Écart de conduite ?
Alors que je débutais dans la profession en tant que monitrice d’auto-école, il y a 5 ans, une jeune femme sourde s’est présentée à moi pour une leçon de conduite. N’ayant pas de connaissances particulières en langue des signes, j’ai décidé spontanément de communiquer avec elle par des gestes simples et grâce à l’écriture sur papier. Contre toute attente, tout s’est très bien passé : nous avons procédé ainsi pour chaque leçon de conduite et mon élève a pu passer son permis qu’elle a eu du premier coup.
À partir de là, je me suis renseignée pour savoir s’il existait des auto-écoles spécialisées pour les personnes sourdes et malentendantes. À cette époque je n’ai rien trouvé à l’échelle de la France. C’est pourquoi j’ai décidé un peu plus tard, fin 2010, de quitter l’auto-école dans laquelle j’étais en CDI pour monter mon propre projet. Après différentes démarches, j’ai pu obtenir un financement de Pôle Emploi pour me former et acquérir les bases de la LSF – 5 mois intensifs à l’École visuelle de Gerland – , et je me suis lancée en créant mon auto-école. J’ai également fait des essais de conduite avec des bouchons d’oreille, afin d’imaginer les sensations.
Pendant plus de cent ans, la LSF a été interdite dans les classes d’écoles – de 1880 à 1991 – mettant ainsi les personnes sourdes et malentendantes à l’écart pour de nombreux apprentissages, notamment la lecture. De même, elles n’ont été autorisées à conduire qu’à partir de 1959. Une mise à l’écart qui a inspiré le nom de l’auto-école : Écart de conduite.
Est-ce une auto-école réservée exclusivement aux personnes sourdes et malentendantes ?
L’auto-école Écart de conduite a été créée pour pouvoir accueillir des élèves sourds et malentendants, mais elle est ouverte à tous. C’est d’ailleurs intéressant pour tous nos élèves en termes d’intégration, de mixité et d’ouverture d’esprit. Je suis ravie lorsque je vois des élèves sourds et entendants s’entraider lors des cours de code… et ce sont parfois les élèves sourds ou malentendants qui donnent les réponses aux autres. Cette mixité permet également aux élèves sourds et malentendants de sentir moins différents des autres.
Nous comptons actuellement cent vingt élèves inscrits en code et conduite, dont une trentaine qui sont sourds ou malentendants. Comme il existe très peu d’auto-écoles adaptées, nous formons des personnes venues de toute la France : Annecy, Bourg-en-Bresse, Marseille, Bastia… La plupart nous racontent que tout est devenu plus clair avec des explications en langue des signes, alors qu’avant ils étaient dans le flou total, ne comprenant pas les indications.
Comment se déroule la formation de vos élèves sourds et malentendants ?
Pour commencer, ils viennent me voir ou me téléphonent via un interprète dès qu’ils ont effectué leur visite médicale de contrôle. J’échange avec eux pour voir si le courant passe et si on parvient à bien communiquer. Je leur propose ensuite une évaluation et un test de lecture. S’ils ont des difficultés pour lire je leur recommande de commencer à apprendre dès que possible pour faciliter le déroulement de leur formation.
Une fois inscrits, ils peuvent participer à deux types de séances de code : des sessions classiques avec les entendants organisées chaque jour, et des sessions spécifiques en LSF organisées une à deux fois par semaine et également ouvertes aux entendants. Pour chaque séance, des boucles magnétiques sont à disposition des personnes qui ont des appareils auditifs compatibles, ce qui leur permet d’amplifier le son des vidéos et de ma voix lorsque j’anime une session, et de ne pas être en décalage.
J’utilise également beaucoup de supports pour clarifier mes explications : posters, tapis, petits panneaux, dessins… ce qui est utile à tous les élèves. Une session d’examen spécifique est ouverte à nos élèves une fois tous les trois mois, avec un tiers-temps supplémentaire accordé. Nous espérons avoir accès à davantage de places d’examen dans un avenir proche, compte tenu du nombre important de demandes auxquelles nous devons répondre, avec des candidats venant de toute la France.
Pour la conduite, tout se passe comme avec les élèves entendants, à la différence que l’on communique en LSF et/ou avec un système de boucle magnétique. Comme pour l’examen du code, les élèves sourds et malentendants ont également droit à un tiers de temps supplémentaire lors de l’examen.
En théorie, les élèves ont aussi le droit d’avoir un interprète lors des deux examens, mais c’est rarement le cas en pratique, où il n’y a généralement pas d’interprète, à moins que les candidats ne se cotisent pour financer les prestations.
Envisagez-vous de proposer des formations adaptées à d’autres types de handicaps ?
Je ne l’exclus pas mais ce n’est pas vraiment prévu pour le moment car j’ai choisi de cibler le public sourd et malentendant, comme d’autres ont choisi de se focaliser sur les personnes à mobilité réduite par exemple. Chaque spécificité demande un investissement important, donc je préfère ne pas trop me disperser.
Toutefois, certaines adaptations prévues pour des personnes sourdes et malentendantes, peuvent également faciliter l’apprentissage de personnes ayant des besoins spécifiques : par exemple des personnes ayant des troubles de la famille des « Dys ».
Ainsi, l’École des Dys s’est adressée directement à moi lorsqu’elle a appris l’existence de l’auto-école Écart de conduite, afin de me demander si elle pouvait nous recommander à ses élèves. Nous avons déjà reçu l’une d’entre elles qui prépare actuellement son code avec succès.
Quels sont vos projets pour les mois et années à venir ?
J’aimerais pouvoir implanter et gérer des auto-écoles de ce type dans d’autres villes et départements, à commencer par St-Étienne. Cela passerait par la formation de nouveaux moniteurs en LSF.
Le succès rencontré, le fait que les élèves viennent de loin et soient si motivés, les prix et encouragements que j’ai reçu, les moniteurs qui appellent de toute la France pour s’inspirer de notre structure… Tout cela booste la créativité et me donne vraiment envie de continuer à avancer sur ce terrain où il y a un vrai manque à combler.
Un élève hors du commun
C’est désormais la mascotte de l’auto-école et la star des jeunes conducteurs. Olivier, étudiant de 20 ans habitant à Bourg-en-Bresse, a décroché son permis de conduire le 28 juin dernier avec le score parfait de 31 sur 31 à l’examen. Sourd depuis sa naissance, Olivier a d’abord passé son code après une formation classique à Bourg-en-Bresse.
Puis il a appris l’existence de l’auto-école Écart de conduite et a décidé d’y faire sa formation pratique à la conduite. Choix qu’il n’a pas regretté puisqu’il a obtenu son permis de conduire du premier coup, quatre mois plus tard, à raison de deux leçons de conduite par semaine.
« À la fin de l’examen, l’inspectrice s’est tournée vers moi et m’a dit que cela avait été un honneur pour elle de conduire avec ce candidat, raconte Dolorès, formatrice d’Olivier. Elle m’a également demandé de le féliciter ! Cela ne m’était encore jamais arrivé auparavant ». Une belle histoire et un message fort d’encouragement pour les personnes sourdes et malentendantes qui doutent de leur capacité à décrocher le permis.
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