Vous l’avez découverte à plusieurs reprises dans nos colonnes, Juliette Lesne revient aujourd’hui pour nous présenter son nouveau projet. Née avec une arthrogrypose, une maladie neuromusculaire rare, la jeune femme a mis sa carrière professionnelle en standby pour se consacrer pleinement à sa nouvelle activité : le théâtre !
Pouvez-vous présenter votre parcours ?
Mon handicap moteur ne m’a pas empêché de faire un parcours scolaire ordinaire. J’étais même bonne élève.
Après un an et demi de recherche de travail, en septembre 2014, j’ai obtenu un emploi dans les ressources humaines à l’Université de Grenoble. Grâce aux concours pour les travailleurs en situation de handicap, j’ai été titularisée en décembre 2016. Suite à un gros problème de santé survenu en avril 2017, je suis actuellement en arrêt longue maladie. Lors de ma recherche d’emploi, j’ai fait la connaissance de Talentéo, j’ai participé d’ailleurs à l’un des premiers « job dating à l’aveugle ». J’ai pu profiter du soutien et des conseils de nombreuses associations grenobloises qui militent en faveur de l’intégration des travailleurs en situation de handicap.
A côté de cela, dès ma majorité, je suis entrée dans le conseil d’administration de l’association nationale Alliance Arthrogrypose où j’ai occupé plusieurs postes (secrétaire, trésorière) pendant six ans.
Comment s’est passée votre évolution dans le monde professionnel par rapport à votre handicap ?
Rechercher son premier emploi est toujours complexe, que l’on ait une difficulté de santé ou non. Alors bien sûr, chercher un premier emploi à temps partiel avec des locaux accessibles pour mon fauteuil roulant électrique, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin ! J’ai essuyé plusieurs refus, tantôt par manque d’expérience (mais il faut bien commencer un jour !), tantôt par manque d’accessibilité ou une réserve quand à mon intégration.
Fort heureusement, la patience a payé. Je me rappelle avoir envoyé ma candidature un été, sans conviction. J’avais eu l’offre d’emploi via Cap Emploi. Finalement, je ne correspondais pas au profil pour le poste en question, mais ma candidature a fait le tour du service puisqu’on m’a convoqué pour un autre entretien quelques jours plus tard pour un autre poste. Cette fois, c’était pour moi.
J’ai tout de suite très bien été intégrée. Faut dire, que mon prédécesseur était lui-même en fauteuil, donc j’arrivais en « terrain conquis » ! Bien sûr, quelques soucis d’ajustement au niveau de l’accessibilité, des aménagements de poste parfois complexe, mais toujours dans l’échange convivial. Mes responsables et mes collègues étaient bien à mon écoute, et le handicap a vite disparu. J’étais une collègue comme les autres !
Vous souhaitez apporter un autre regard sur le handicap moteur et êtes l’auteure d’un essai autobiographique. Pouvez-vous nous raconter la naissance de ce projet ?
J’ai toujours voulu écrire un livre. Pour moi, ce que je ne peux pas faire avec mon corps, je le fais avec mes mots. Petite, j’ai écrit des lettres au maire de ma ville ou à mes médecins lorsque je voulais défendre mes droits et faire entendre ma voix. J’avais besoin aussi de lire des témoignages de personnes plus âgées que moi pour avoir leurs ressentis et peut-être des réponses à mes questions. Alors bien évidemment, si je demande à lire ce type de témoignage, il fallait que moi aussi je me lance. C’est donnant-donnant.
C’est ainsi que j’ai commencé à écrire sur différents sujets, même les plus tabous (surtout les plus tabous !). J’ai commencé à écrire en juin 2015. Il m’a fallu trois ans d’écriture avec des pauses parfois longues et surtout une interminable recherche d’éditeurs… J’ai finalement opté par de l’autoédition, conseillée par un éditeur traditionnel. « Handicapée, vous dites ? Handicapable, je réponds ! » a été publié en septembre 2018 chez Librinova. Par cet écrit, je propose un autre regard sur le handicap moteur en évoquant mon histoire.
Quelles ont été les réussites et les difficultés rencontrées lors de l’écriture de ce livre ?
L’écriture et les sujets ne manquaient pas, je n’ai d’ailleurs pas pu tout évoquer. Ce qui était compliqué pour moi c’est d’oser publier un écrit parfois intime et me dire : « Oui, il est possible que mes collègues, mes voisins, mes amis, ma famille, des inconnus lisent ça ». Suis-je prête à dévoiler cela au grand public ? Mais… si je ne le fais pas, je ne peux pas demander à ce que d’autres osent l’écrire. Alors… ok, j’y vais ! Mais cette réflexion m’a demandé de faire une pause de sept mois dans ce processus d’écriture.
Dans un souci d’authenticité, et parce que je suis perfectionniste, il fallait que mes mots soient au plus juste pour que mon message passe. Ce n’est pas une œuvre littéraire. Mais surtout, pas de pathos, pas de plainte, pas de colère. Juste un témoignage, des questionnements et des propositions.
Et apparemment c’est plutôt réussi ! Mes premiers lecteurs m’ont remercié d’avoir osé. Certains m’ont découvert. Pour d’autres, cela les a aidés dans le cheminement d’acceptation de leur handicap ou de celui de leur proche.
La réalisation de cet écrit a été thérapeutique et m’a fait mûrir dans l’adulte et la femme que je suis. Et puis ce livre me fait ouvrir des nouvelles portes, de nouvelles perspectives professionnelles.
Vous avez également crée une compagnie de théâtre, pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est en parlant de mon livre avec un ami comédien que l’idée d’écrire une pièce de théâtre est venue. Je suis convaincue que l’art est un outil de médiation et de sensibilisation intéressant à explorer. Au début, j’imaginais faire quelques sketchs et lecture à voix haute lors de la sortie de mon livre, puis finalement c’est une véritable pièce de théâtre d’une heure trente environ qui est en train de naître.
« Sous l’capot du manchot » est né en octobre 2018. Association de loi de 1901, cette compagnie de théâtre permet de réaliser la pièce « Lettre à Arthrogrypose ». Composée de 12 comédiens amateurs, semi-professionnels ou professionnels, la troupe se diversifie et se complète par ses nombreux talents. Ainsi, le spectacle mélange théâtre, clown, danse, chant. J’ai écrit la pièce dont je suis également comédienne. Kevin Parisot, un autre comédien, a pris en charge la mise en scène. L’écriture de la pièce se veut modulable et participative. Selon le public, le contexte et les sujets évoqués, le spectacle est évolutif.
La compagnie de théâtre a pour vocation de créer et d’animer des actions de sensibilisation à la différence et en particulier du handicap (ici via l’arthrogrypose). C’est en allant au cœur du sujet, dans le ressenti (souvent gardé dans l’ombre) que l’on peut mieux comprendre l’autre. C’est dans la communication que l’on peut créer un mieux vivre ensemble, dans la richesse de ses différences.
Quels messages/conseils donneriez-vous à nos lecteurs ?
Je souhaite d’abord dire que la vie nous réserve souvent des surprises. Nous prenons des chemins, puis parfois l’itinéraire prend une autre route. Dans mon cas présent, il a fallu que je vive un gros problème de santé pour me rendre compte que mon aspiration profonde n’était peut-être pas de travailler dans un bureau à faire des statistiques RH. Ma place est ailleurs, il faut juste que j’ose aller explorer cet ailleurs.
Rien n’arrive pas hasard. Au début de ma vie professionnelle, j’étais dans l’optique « intégration à tout prix ». Je suis comme les autres, point barre. Grâce à mon handicap, j’ai passé mon concours via un dispositif spécial, ce qui m’a permis de me donner un coup de pouce dans ma carrière. Ceci dit, c’est toujours mes compétences avant tout.
Puis, je me suis confrontée à ma réalité. L’accessibilité, l’aménagement du poste, jusque-là, j’étais dans le système D et la « débrouille ». Mais sur la durée, j’ai pris conscience de mes limites et de mes contraintes. Dur, dur, pour la battante que je suis. Et c’est au moment où nous avons commencé une étude ergonomique pour que je puisse bénéficier d’un confort optimum et que j’ai accepté de diminuer encore mon temps de travail, que ma carrière professionnelle de fonctionnaire a été mise en standby… Pour finalement… quelques années plus tard… me retrouver sur une scène de théâtre à parler du handicap ! Et j’en suis très heureuse !
Lettre à Arthrogrypose est un spectacle original, à découvrir ! Première représentation le mardi 28 mai à L’Aparté à Saint Martin d’Hères (Grenoble). Le témoignage de Juliette vous a plu ? N’hésitez pas à le partager sur les réseaux sociaux !
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