Eric DE RUS est l’auteur du livre « La grâce d’altérité » qui retrace son parcours avant d’être diagnostiqué autiste Asperger. Préjugés, diagnostic et témoignage, Eric nous livre son expérience dans cette interview. 

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Eric de Rus. Je suis Agrégé et Docteur en Philosophie. Une matière que j’enseigne. J’ai également plusieurs publications à mon actif concernant la philosophie, l’esthétique, la vie spirituelle et la poésie.

Eric de RUS, autiste asperger

Eric de RUS, auteur de « La grâce d’altérité »

Quand et comment avez-vous été confronté aux troubles du spectre autistique ?

J’ai été très tardivement diagnostiqué Autiste Asperger et testé HPI. Le syndrome d’Asperger n’a été reconnu officiellement qu’en 1994, après mon enfance. Il a donc fallu du temps pour poser des mots sur ma différence.

D’ailleurs, même avec cette reconnaissance, l’autisme est resté méconnu, renvoyant vaguement à deux extrêmes : soit à une profonde déficience cognitive, intellectuelle et linguistique, soit au syndrome du savant avec lequel il était confondu.

Mon autisme fut durablement masqué par les stratégies de compensation que j’avais développées au fil du temps. J’étais effectivement doté d’un sens poussé du détail, de l’observation et de l’analyse, aiguisé par l’exercice. Tout cela m’a permis de m’adapter tant bien que mal.

Je naviguais continuellement entre deux mondes : mon monde intérieur et le monde socialement construit dont les codes n’avaient rien d’évident. Cela était générateur d’une profonde anxiété, comme celle que l’on éprouve en présence d’un inconnu qu’il faut apprivoiser en se tenant toujours sur ses gardes.

Aussi loin que je me souvienne, j’étais habité par un puissant sentiment d’étrangeté du monde. Son fonctionnement et ses règles n’allaient pas du tout de soi. C’est en satisfaisant mon besoin vital de silence et de solitude que je parvenais à « donner le change » et cela même lorsque rien n’y paraissait. En effet, je pouvais être volubile sur les sujets qui me tenaient à cœur, plaisanter…

Enfant, je me réfugiais dans la lecture. Je lisais surtout les biographies de personnalités créatrices hors normes et puissamment résilientes. Parmi-elles : Helen Keller, Marie Curie ou encore Albert Schweitzer. Je me souviens aussi de rares périodes de mutisme sélectif dans des situations trop douloureuses.

Au fil des ans, ces efforts de sur-adaptation exigeaient une quantité d’énergie que je n’étais, physiquement et émotionnellement, plus en mesure de fournir. Jusqu’au jour où j’ai été confronté à d’insurmontables difficultés et je me suis effondré. Dans cette situation de grande vulnérabilité, j’ai décidé de suivre l’intuition très forte qui m’habitait depuis des années, d’élucider enfin le fonctionnement différent qui était le mien.

C’est alors que je me suis tourné vers un spécialiste des fonctionnements neuro-atypiques. Au terme d’un bilan, j’ai reçu un diagnostic d’autisme (Asperger) qui a été confirmé par un docteur en médecine en novembre 2022.

Comment se caractérise votre trouble du spectre autistique ?

Sans être exhaustif, je relèverai plusieurs traits, parmi les plus saillants, de mon fonctionnement autistique. Tout d’abord, une hypersensibilité sensorielle. Récemment, des tests cliniques ont notamment mis en évidence une « hyperacousie phonophobique » d’origine génétique. Ensuite, l’épuisant labeur que m’impose le déchiffrement de l’implicite sur lequel repose la communication sociale. En outre, je ressens très fortement les émotions des personnes qui m’entourent. Cependant, pour interagir, je dois passer par une élaboration intellectuelle, souvent assez rapide, de l’état intérieur de l’autre.

Il y a également ma difficulté à faire face aux imprévus. J’ai besoin de régularité et d’accomplir scrupuleusement des rituels structurant mes journées. Enfin, une inflexibilité à l’endroit de certaines valeurs non-négociables. Tout cela rend les interactions sociales parfois très pénibles. Aussi, en période de trop grande surcharge, je m’y soustrais autant que possible.

Lorsque la tension physique, émotionnelle et mentale est trop intense, seul l’isolement et le silence me soulagent. Conjointement, l’absorption dans mes sujets de prédilection, en particulier le domaine de la création artistique, m’apaise.

Avez-vous travaillé en entreprise avant de devenir écrivain à plein temps ?

L’écriture fut très tôt mon mode d’expression privilégié. Elle est demeurée une activité que je n’ai cessé de pratiquer parallèlement à ma profession de professeur de philosophie. Je ne suis donc pas un « écrivain à plein temps ». Mener de front le travail de l’enseignement et celui de l’écriture représente un défi quotidien. Cependant, l’écriture, en tant que création, constitue pour moi une nécessité vitale.

Elle témoigne !

Quels ont été les préjugés les plus courants que vous avez rencontré sur l’autisme ?

Les préjugés les plus courants auxquels je fais face relèvent de la méconnaissance du sujet. Ils concernent, sinon les caricatures de l’autisme, du moins la simplification grossière de ses formes sur un spectre en vérité très étendu.

Le plus difficile est de se heurter à un manque d’écoute véritable lorsque l’on essaie d’aborder la complexité de la réalité autistique. Il n’est pas rare d’être confronté à de prétendus « sachants ». Ils sont souvent pris, à leur insu, dans un tissu d’idées préconçues qui les empêchent d’accorder un espace à une parole et à un regard d’altérité.

De telles attitudes infligent à l’autiste une réelle violence. En effet, contrairement aux idées reçues, l’autiste n’est pas celui qui ne veut pas entrer en relation. Il est celui qui ne sait pas comment s’y prendre. La relation est ici une énigme déroutante qui requiert de puiser en soi une immense énergie.

Le préjugé le plus tenace tient, selon moi, à la réduction de l’autisme à un faisceau de « troubles ». La prise en compte de la neurodiversité me paraît bien plus féconde que l’approche pathologisante de l’autisme. Seul un long travail sur soi permet d’envisager l’autisme comme une différence créatrice.

Je veux ajouter que je rencontre aussi, notamment dans mon milieu professionnel, des personnes ouvertes et bienveillantes. Elles sont attentives à ce que je suis et à mes besoins spécifiques. Cela me permet d’apporter, dans le contexte qui est le mien, ma meilleure contribution possible.

Je tiens également à rendre hommage à mon épouse. Son amour inconditionnel me soutient chaque jour dans ce qui est indissolublement un combat insoupçonné et une aventure passionnante.

Vous avez écrit « la grâce de l’altérité » quel en est le synopsis ?

L’écriture de ce récit est, pour la plus grande part, antérieure à la connaissance de mon diagnostic que j’ai reçu alors que j’y mettais la dernière main. Ce texte est né d’une nécessité intérieure, celle de donner corps au vécu d’altérité qui est le mien.

Ces pages sont le fruit d‘un long cheminement intérieur. De toutes mes publications, La grâce d’altérité est indéniablement la plus personnelle.

La grâce d’altérité est l’offrande que mon altérité fait d’elle-même à d’autres altérités. Car mon autisme m’incite inlassablement à créer des médiations pour entrer en relation, notamment par les mots, les symboles, la poésie. Mais aussi par le silence. En cela, je vis mon altérité comme une incroyable richesse. Qui me donne d’entendre plus loin que le fracas du monde et de m’ouvrir à la Présence de fin silence d’un amour qui « est le secret primordial du monde » selon le mot d’Oscar Wilde.

Couverture du livre la grâce de l'altérité

Couverture du livre la grâce d’altérité

Quel message souhaitez-vous passer à nos lecteurs qui découvrent l’altérité par le biais de cette interview ?

J’aimerais surtout rappeler l’importance de s’ouvrir à l’inépuisable richesse des perceptions de la réalité qui fait droit aux lectures complexes du monde. Reconnaître que l’altérité dont chacun est porteur est une donnée irréductible, c’est consentir à la dimension d’étrangeté inhérente à notre rapport au monde. Entrer en amitié avec notre propre altérité nous ouvre à l’essentielle étrangeté de la réalité , à ce qu’elle a d’immaîtrisable et d’inquiétant, mais tout autant d’émerveillant.

Eric de Rus participera au salon AutiChance le 17 février 2024 avec une intervention sur « la fécondité de la différence ». Vous êtes également concerné par un TSA et vous voulez témoigner ? N’hésitez pas à contacter la rédaction ! 

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