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Une nouvelle semaine de confinement débute pour l’ensemble des Français. L’Oeil et la Main, émission de télévision francophone bilingue (français et langue des signes) diffusée sur France 5, a suivi le quotidien de six personnes sourdes. Charlotte, Claire, Wallès, Kim, Marie et Josette filment leur quotidien pour écrire un journal de bord de leur expérience du confinement. Ils nous permettent ainsi d’appréhender la crise sanitaire d’un point de vue singulier, celui des sourds. Rencontre avec Laurent Valo, directeur de collection de l’émission.

Bonjour Laurent, pouvez-vous vous présenter ?

Un dialogue de sourds ! | Centre Mandapa | BilletReduc.comJe m’appelle Laurent Valo, j’ai 48 ans et je suis originaire de Paris. J’ai grandi dans une famille entendante où je suis le seul sourd. Ma famille voulait que je sois intégré socialement, j’ai donc été oralisé. J’ai appris la langue des signes (LSF) avec mes copains à l’école. Dans les années 70, c’était l’école oraliste.

J’ai essayé de comprendre tant bien que mal en lecture labiale. Nous échangions beaucoup entre nous pour essayer de comprendre parce qu’on n’avait pas accès pleinement aux messages qui étaient donnés par les profs.

Au sein de l’International Visual Theatre, il y avait un atelier de théâtre pour les enfants sourds. J’ai commencé à découvrir ma place de sourd dans le monde des Sourds. C’est-à-dire ne pas se cacher, utiliser la langue des signes et en être fier. Je voyais des adultes sourds qui devenaient des modèles.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Je me suis rendu compte que le monde du travail au niveau de la communication allait être compliqué. J’ai donc décidé d’aller dans le monde artistique parce qu’il y avait une ouverture d’esprit, un respect de la différence. Nous pouvions travailler ensemble. Il y avait aussi des entendants qui étaient fascinés par la LSF, mais qui ne me regardaient pas comme un handicapé. Nous, les Sourds, on ne dit pas qu’on est handicapé. Nous n’avons qu’un seul sens en moins. A part cela, ma vie est exactement similaire à celle d’un entendant. La seule différence c’est que nous avons une culture visuelle et notre langue est visuelle.

A l’âge de 20 ans, j’ai commencé à rentrer dans le monde du théâtre professionnel. J’ai joué dans 45 pièces. Le jeu c’était le plaisir de la langue. D’une part pour le public sourd, ça faisait du bien d’avoir des spectacles en langue des signes et d’autre part, pour les entendants, de la découvrir. C’était une forme de sensibilisation pour éveiller l’intérêt et la curiosité du public entendant.

Cela a été une belle période parce qu’au niveau de la société, les Sourds étaient encore méconnus. Il y avait des préjugés autour de la langue des signes. On pensait que c’était une sous langue. Beaucoup de Sourds vivaient cette situation comme une frustration.

Vous êtes directeur de collection de l’émission L’Œil et la Main. Pouvez-vous nous expliquer le principe de cette dernière ?

L’Œil et la Main est une collection documentaire qui ouvre un espace de rencontre entre sourds et entendants et où s’échangent regards et points de vue sur le monde. L’émission a été créé en 1994 par Jean-Marie Cavada qui était à l’origine de la création de la chaîne. Juste avant cette création, il y a eu une émission sur France 3, La marche du siècle. C’était l’occasion de montrer à la télévision la LSF avec des personnes sourdes en tant qu’invitées. La visibilité dans le paysage audiovisuel français auprès du grand public entendant a commencé à bouger.

Jean-Marie Cavada a donc décidé de créer une émission de 26 minutes sur France 5 diffusée toutes les semaines. C’était vraiment génial parce que pendant très très longtemps, c’était la seule émission à présenter vraiment la communauté Sourde au grand public pour les entendants. C’est l’occasion pour tout public spectateur de voir le monde des sourds. Ça peut être sous forme de portraits, d’enquêtes ou de dossiers sur une thématique.

C’est une émission sociétale qui donne des modèles pour les jeunes sourds. Pour les parents qui ont des enfants sourds, par exemple, et qui n’ont aucune connaissance, ils peuvent découvrir le monde des sourds avec cette émission. La langue des signes et la vie sociale existent, elles sont présentes. C’est aussi ce que nous souhaitons montrer au travers de l’émission. Nous donnons des clés pour comprendre, des idées pour réfléchir, pour avancer dans leur travail.

Une émission spéciale est diffusée ce lundi autour du confinement, COVID-19, un jour sans fin. Quel est le message ?

Les tournages de l’émission ont été suspendus depuis le début du confinement. Nous avons rediffusé certaines de nos émissions. Nous nous sommes dits qu’on allait tout de même faire un film sur le confinement. J’ai choisi six personnes : une étudiante, une mère de famille, une retraité, une infirmière, une militante et un journaliste.

Le message de l’émission c’est simplement de montrer comment les Sourds vivent le confinement. A l’inverse, nous voyons souvent à la télé le quotidien des entendants durant cette période. L’idée est de montrer les différentes histoires et comment chacun vit cette situation, comment ils reçoivent les informations diffusées. A la télévision, c’est un flot continu, mais souvent il n’y a pas d’analyse de fond. Du coup, il y a beaucoup d’échanges qui se font sur la toile.

Il y aura différents films qui vont être présentés après le confinement. Qu’est-ce que l’après confinement ? Quels changements du point de vue de la communauté Sourde ?

Quelle est votre perception de l’accessibilité du contenu à la télévision ?

Aujourd’hui, presque tous les programmes à la télé sont sous-titrés. Sur la question des interprètes visibles et de la langue des signes, nous bataillons pour qu’il y en ait de plus en plus. Le petit cercle dans lequel il y a l’interprète en tout petit est illisible si nous voulons comprendre ce qui est dit. Nous sommes obligés de nous mettre à un mètre de la télé. La communauté sourde n’est absolument pas contente de ce système là.

Nous avons vu lors des annonces du président de la République, Emmanuel Macron, qu’il y avait toujours l’interprète en petit médaillon au début du confinement. Ensuite, lors de ses déplacements, nous nous sommes retrouvés avec l’interprète à côté, grandeur nature. Et là, on s’est dit « enfin ! « . C’était la première fois, à cause de cette situation exceptionnelle, qu’Emmanuel Macron se retrouvait à faire un discours avec l’interprète qui était juste à côté. Nous espérons que ça continuera après le confinement.

Il y a eu comme une gêne pour les entendants quand ils ont vu l’interprète qui signait à côté. C’est un manque de connaissance du grand public qui pense que la langue des signes n’est pas une vraie langue, que c’est une espèce de code simiesque. Comme si la télé n’était pas prête finalement à montrer cette partie d’un point de vue esthétique. C’est pour ça que, jusqu’à présent, l’interprète était tout le temps dans un petit médaillon. En réalité, quand il est de plein pied, c’est la meilleure lisibilité du message pour le public sourd ou public entendant qui utilise la LSF.

Vous avez pratiqué l’art thérapie, pouvez-vous nous en dire plus sur ce concept ?

Les entendants apprennent à parler normalement, mais le corps dort pendant ce temps là. Quand un entendant parle, son corps ne bouge pas. Alors qu’un sourd qui s’exprime ce n’est pas que les mains qui bougent. Il y a aussi des expressions du visage, le corps, les épaules. Le corps est en mouvement.

L’art thérapie peut être pour tout le monde. C’est un outil fait pour permettre de débloquer, d’exprimer des sentiments. Cette discipline permet de s’exprimer librement, par les gestes, verbalement, par le dessin, par le corps ou par la danse. L’art thérapie permet de faire surgir des blessures de l’enfance, de savoir qui on est, de faire un travail sur soi même.

La langue des signes est un enseignement visuel. Quand nous sommes dans le langage parlé, on est tout le temps dans le son. Si on coupe les oreilles on peut voir des choses auxquelles on ne faisait pas attention. Tout d’un coup, nous découvrons qu’on peut s’exprimer à travers le corps. L’expression en langue des signes peut parfois permettre à des individus de se reconnecter avec leur corps qui avait été laissé en jachère.

L’art thérapie permet de réaliser des actions formidables. Nous avons par exemple réalisé une émission de L’œil et la Main en novembre dernier, avec une personne sourde et art thérapeute qui travaille avec une personne entendante et autiste. Les parents avaient une relation difficile avec leur enfant. Grâce à l’apprentissage de la langue des signes, il y a une communication qui s’est créée avec leur enfant.

Quels sont vos souhaits pour les prochaines années ?

Concernant les médias j’aimerais qu’il y ait de plus en plus d’émissions où on invite des personnes Sourdes. D’une certaine manière, qu’il y ait une plus grande visibilité de façon à sensibiliser le grand public. Dès qu’un entendant rencontre une personne sourde il ne doit pas être choqué, ni étonné parce que ça fait finalement partie du paysage commun et qu’il a l’habitude d’en voir. J’espère aussi que la LSF des signes sera de plus en plus présente à la télévision. Il y a eu un déclic avec le confinement.

Egalement, je souhaite qu’il y ait plus de comédiens sourds. Il y a eu des effets de mode. On va avoir des comédiens sourds qui vont jouer au cinéma et après, pendant dix ans, plus rien. Il serait bien de sortir du cliché du sourd qui joue le rôle du sourd-muet. Que cela puisse être dans un rôle qu’on n’attendait pas ou humoristique.

Aussi, tous les mois, les personnes Sourdes ont le droit à une heure gratuite de communication grâce aux centres relais. Les SMS, email, permettent aujourd’hui de communiquer plus facilement, mais des fois, on est obligé de passer par un coup de fil direct. Je voudrais que ce service soit gratuit pour les Sourds et avec le plus d’heures possible.

Enfin, au niveau de l’école et de l’éducation, il faut encourager les classes où l’enseignement se fait en langue des signes. Elle doit devenir la langue de transmission. A l’heure actuelle, les classes bilingues ont tendance à diminuer, alors que c’est le meilleur moyen pour les enfants sourds de développer leurs connaissances. C’est ce qui permet d’avoir des adultes sourds citoyens à part entière.

Quel message souhaiteriez-vous passer à nos lecteurs ?

Les personnes entendantes ont souvent la vision suivante : « Oh les pauvres ils n’entendent pas, ils ont une vie triste parce qu’ils ne peuvent pas parler, parce qu’ils n’entendent pas la musique, parce qu’ils ne peuvent pas entendre le chant des oiseaux ». Nous ne sommes pas triste de ne pas entendre. Nous pouvons avoir un sentiment de tristesse comme tout le monde pour des soucis personnels. Mais dans la vie de tous les jours, nous sommes heureux, nous pouvons faire des enfants, avoir des avis, faire la fête, vivre des histoires d’amour, danser !

Le confinement nous est tombé dessus pour 2020. J’espère qu’au niveau humain il y aura plus de fraternité, de solidarité qu’on apprendra mieux à vivre ensemble. Finalement, cela va se décanter un petit peu et nous allons avoir un peu plus d’humanité. C’est mon souhait pour le post confinement.

 

Pour découvrir l’émission l’Oeil et la Main : COVID-19, un jour sans fin, rendez-vous sur la plateforme replay de France 5 ! N’hésitez pas à partager cet article autour de vous ! 

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