Franck La Pinta mettait à contribution en Décembre 2013 une douzaine de spécialistes des RH, pour mettre en relief les 12 sujets pertinents de l’année. Aujourd’hui, Talentéo approfondit le thème des algorithmes, en interviewant Gilles Gobron en exclusivité !
Quel est votre parcours professionnel, et pourquoi avez-vous choisi de parler des algorithmes ?
J’ai un parcours un peu atypique. De formation, je suis juriste, mais j’ai commencé par travailler dans la distribution spécialisée en 1995, au milieu des ordinateurs et des (gros) téléphones mobiles. C’est là où j’ai été contaminé par le virus du web en 1997. Deux ans plus tard, j’ai donc changé de carrière et j’ai exercé plusieurs métiers dans ce domaine : webdesigner, développeur html, puis chef de projet, chez « l’annonceur » et en agence. Depuis bientôt 7 ans, je suis le responsable du marketing digital au sein d’Expectra, filiale du groupe Randstad. En âge « web » je suis presque maintenant un dinosaure, mais dans ma tête j’ai toujours 25 ans.
Pourquoi ce sujet ?
Selon moi, les algorithmes sont le symptôme d’une tendance beaucoup plus globale à l’automatisation des processus de recrutement. Avec eux, nous sommes vraiment entrés au cœur d’un paradoxe : d’un côté nous n’avons jamais autant entendu parler de « recrutement social » ou de « remettre l’humain au cœur du recrutement », et de l’autre nous assistons à une pandémie de logiciels d’industrialisation RH. Mon sentiment est qu’en confiant à des algorithmes le quasi pouvoir de décider qui embaucher, nous venons de franchir le Rubicon.
Vous parlez notamment des algorithmes « qui vous disent qui embaucher ». Comment cela fonctionne-t-il ?
Plutôt que de passer du temps derrière son écran à écumer les cvthèques ou les réseaux sociaux à la recherche de sa nouvelle star (F/H), le recruteur choisi de confier cette tâche à un logiciel. Celui-ci va exécuter une série d’étapes (requête, filtre, tri, scoring des profils…) selon les instructions dictées par l’algorithme, avant de vous présenter à la fin le nouveau Christophe Willem.
Il existe plusieurs grandes catégories d’algorithmes, par exemple :
- ceux qui fonctionnent par « affinités » entre le candidat et le recruteur final, comme sur un site de rencontres (la personnalité prévaut ici sur les aptitudes),
- ceux qui se basent sur des « statistiques » (si vous utilisez Firefox plutôt qu’Internet Explorer, vous êtes considéré comme un candidat plus efficace, hop ! Vous remontez dans la liste),
- et enfin ceux qui œuvrent par mimétisme, en apprenant puis en reproduisant les habitudes de recherche du recruteur.
Bien sûr, rien n’empêche de mélanger tous ces ingrédients pour inventer sa propre recette… mais vous retrouverez toujours un point commun : la formule de l’algorithme reste secrète.
Est-ce que tous les recruteurs travaillent ainsi ?
Tous ? Non ! Car un village peuplé d’irréductibles recruteurs résiste encore et toujours à l’envahisseur… aussi en Gaule France, c’est encore très minoritaire. A l’étranger c’est plus fréquent, de grandes entreprises comme Google ont déjà systématisé le recours aux algorithmes pour recruter. Face à un afflux croissant de candidatures, à l’heure où les mots « big data » sont sur toutes les lèvres, la tentation devient de plus en plus forte de (mal) les utiliser. Il reste quand même de l’espoir… Regardez les sites de rencontres, qui sont historiquement des gros consommateurs d’algorithmes par « affinités ». Et bien il est intéressant de constater que dans ce secteur la tendance semble s’inverser : la promesse de l’algorithme miracle pour rencontrer le partenaire idéal s’efface au profit de « l’activité humaine » (sélection à l’entrée par les autres membres, organisations d’événements dans la « vraie » vie…).
Quels sont les avantages et inconvénients de cette façon de fonctionner ?
Le premier avantage de cette façon de fonctionner est clairement de gagner du temps ! Si, ensuite, l’entreprise n’y voit pas qu’un moyen pour diminuer ses effectifs RH, cela offre une formidable opportunité pour réinvestir ce temps dans des missions à plus fortes valeurs ajoutées. Qui pourrait par exemple reprocher à son DRH de passer moins de temps derrière son écran à écumer des cvthèques, si c’est pour partir à la place à la rencontre des collaborateurs de l’entreprise ? Je crois que Frédéric Mischler parlait à ce sujet de ré-humanisation des RH.
Le deuxième avantage pourrait être celui d’un recrutement neutre et parfaitement objectif. L’algorithme n’est jamais tenté lui de se laisser influencer par la mise en page de votre CV, la taille des polices, la tête de votre photo… Il dissèque un profil avec la même froideur qu’un scientifique une grenouille. La tentation est grande d’en faire l’instrument parfait de lutte contre les discriminations conscientes ou inconscientes… mais c’est beaucoup trop beau pour être vrai ! Car, et nous touchons là à un vrai inconvénient, c’est que nous ne connaissons pas réellement les formules de ces algorithmes (critères, pondération…). C’est exactement la même chose que lorsque vous utilisez votre moteur de recherche favori sur le web et qu’il vous restitue SA liste de résultats selon SES propres considérations (liens entrants et sortants, trafic associé à la page, comportement des visiteurs, nom, … ?). Peut-être qu’au final cela a peu d’importance de savoir « comment ça marche » quand il s’agit de trouver le site incontournable sur les Tulipes à fleur de lis équatoriales, mais cela en a peut-être plus quand il s’agit de la carrière d’hommes et de femmes… Qui ne sauront pas plus que le « recruteur utilisateur », pourquoi, au final, ils ont été évincés. Critères pertinents ou non ? Je ne me pose même plus la question, si discrimination il y a, c’est l’algorithme le coupable… pratique.
Ensuite, à appliquer systématiquement une même méthode de recrutement standardisée, vous risquez de vous confronter à un autre inconvénient : celui d’obtenir toujours les mêmes types de profils dans votre short liste de résultats et donc, au final, à recruter une armée de clones. Cette problématique commence cependant à être prise en compte par les algorithmes les plus perfectionnés, même si cela demeure très maladroit.
Si nous souhaitons garder les avantages des logiciels de présélection tout en en gommant au maximum les inconvénients, il est impératif de réinjecter dans nos processus de l’humain, de l’imprévu, et une poignée de grains de sable.
Bref, savoir utiliser l’outil pour ne pas en devenir l’esclave.
Talentéo est sensible à la position que vous défendez, celle de ne pas être « l’esclave d’un outil ». Pour vous, comment doit se manifester le savoir-faire d’un recruteur en 2014 ?
Selon moi, le savoir-faire d’un recruteur doit se manifester avant tout dans sa capacité d’anticipation et de penser de façon non conventionnelle. C’est cette capacité à anticiper qui lui permet d’aller au-delà du simple matching d’évidence, et donc de savoir proposer des vraies solutions d’écarts, ces fameux profils « ronds » qui finalement s’avéreront très bien aller dans cette boîte carrée. Cela suppose des qualités d’écoute, de remise en question, et surtout la capacité à assumer ses choix en toute transparence sans en imputer les erreurs aux outils qu’il utilise.
Puisqu’on vous tient, on vous demanderait bien de tester le nôtre, d’outil : lereseautalenteo.fr. Après 5 minutes de navigation, qu’en pensez-vous ?
Ce qui m’a frappé, c’est de ressentir immédiatement à quel point le site a été conçu autour des préoccupations de ses utilisateurs finaux. Toutes les promesses de la campagne de lancement sont tenues : accessibilité, efficacité, clarté. Bravo !
Mais je connaissais déjà Talentéo par le biais de la mine d’or de contenus que vous publiez régulièrement. Nous ne sommes plus dans le déclaratif « handicap et talents sont compatibles », mais dans la preuve. Et ça, j’achète !
Merci à Gilles Gobron pour cet éclaircissement sur les algorithmes.
Et vous, que pensez-vous de l’utilisation des algorithmes pour recruter ? Avez-vous des expériences à faire partager ? Des questions à poser à Gilles Gobron ?
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