Franck La Pinta réunissait, juste avant la nouvelle année 2014, 12 experts des RH, pour mettre en relief les 12 notions pertinentes de l’année. Nous accueillons aujourd’hui Vincent Rostaing, qui nous parle de la révolution agile.
Notre dossier mensuel s’enrichit ! Grâce à nos experts, quatre sujets RH ont déjà été mis en avant : tandis que Gilles Gobron nous dévoile tout sur l’algorithme, Arnaud Gien-Pawlicki analyse la transformation digitale, Alexandre Pachulski nous présente l’expérience utilisateur et Pierre Denier pense avant tout aux talents.
Bonjour Vincent. Tu avais choisi de traiter le thème de la révolution agile dans l’article réunissant des experts RH lancé par Franck La Pinta. Peux-tu expliquer à nos internautes brièvement ton parcours professionnel, et pourquoi tu as choisi de parler de ce sujet comme un enjeu RH pour 2014 ?
Diplomé d’une ESC, avec une spécialisation en marketing international effectuée au Mexique et après avoir fait une analyse du marché de l’emploi, j’ai bifurqué vers la carrière commerciale et marketing plutôt que vers ce fameux marketing international. Manager commercial et marketing pendant près de 15 ans chez JCDecaux d’abord, puis Completel et enfin Business & Decision, j’ai pris goût à la fois au management de l’information, aux usages et aux techniques du web et du CRM. Avec l’avènement de Viadeo et LinkedIn, je me suis mis à chercher des profils sur ces nouveaux médias, puis j’ai décidé d’en faire mon métier en créant Le Cairn 4It. C’est un cabinet spécialisé dans le « talent lifecycle management ». J’ai donc essayé de transposer quasi littéralement toutes les étapes de la relation client dans la relation candidat : de son attraction – marketing RH – pour générer un flux de candidatures spontanées ciblées, à son recrutement en optimisant l’expérience candidat, en passant par l’onboarding sur lequel on n’investit décidément pas assez en France, le développement et la fidélisation des collaborateurs et enfin ce que j’ai nommé l’upcycling, qui consiste à valoriser les sorties de collaborateurs par des mobilités externes dans une optique d’optimisation de l’image employeur.
J’ai choisi de parler de révolution agile car il me semble qu’elle représente un mouvement sociétal de fond en nous posant la question du sens de l’efficacité, là où toutes les méthodes précédentes ont surtout contribué à tayloriser toutes les fonctions de l’entreprise. On nous propose enfin autre chose qu’un mille-feuille indigeste en guise d’organigramme et qu’une tribu de « chef mais surtout pas responsables » comme mode de gouvernance. On revient à la méthode BSP, bon sens paysan (NDLR : il s’agit de toutes les pratiques dotées de bons sens), au plaisir à faire plus ensemble que ce qu’on ferait isolément et on se rend compte qu’on peut vivre mieux, voir prendre plaisir à sa vie laborieuse, tout en étant tout aussi sinon plus performant. Et ce n’est que le début, même les gros groupes commencent à comprendre les vertus d’un tel modèle.
Comment définirais-tu le concept de « révolution agile » à notre binôme de choc : notre nièce de 8 ans et notre prof d’économie de l’université ?
Je crois qu’exceptionnellement, ça va être plus dur de parler à l’adulte déjà très abîmé par un système normatif – non je n’ai rien contre les profs d’économie d’université – qu’à la nièce de 8 ans, mais je vais essayer. Pour la nièce de 8 ans, qui n’a pas encore éprouvé le monde professionnel, le plus simple est probablement de se référer au monde scolaire et de lui expliquer qu’au lieu d’apprendre ses leçons de physique par cœur et de devoir les restituer, en mode agile elle devra expérimenter, faire des expériences successives avec quelques-uns de ses camarades, en adaptant les méthodes à chaque fois pour essayer d’améliorer les résultats sans jamais se contenter d’un résultat acquis. Puis pour être fidèle à l’esprit agile, je lui raconterais l’histoire suivante :
Un jeune moine Shaolin est à genoux devant le maître Sensei lors de la cérémonie de remise de sa ceinture noire durement gagnée. Après des années de formation implacable, le moine a finalement atteint le sommet de la réussite dans la discipline.
« Avant d’accorder la ceinture, vous devez passer un test de plus, dit le Sensei.
– Je suis prêt, répond le moine, s’attendant peut-être à un dernier combat.
– Vous devez répondre à la question essentielle : quel est le vrai sens de la ceinture noire ?
– La fin de mon voyage, dit le moine. Une récompense bien méritée pour tout mon travail. »
Grand silence du Sensei. De toute évidence, il n’est pas satisfait. Enfin, le Sensei parle.
« Vous n’êtes pas encore prêt pour la ceinture noire. Réfléchissez et revenez dans un an. »
Un an plus tard, l’étudiant s’agenouille à nouveau devant le Sensei.
« Quel est le vrai sens de la ceinture noire ? demande le Sensei.
– Un symbole de distinction et de la plus grande réalisation de notre art », dit l’étudiant.
Le Sensei ne dit rien pendant plusieurs minutes, de toute évidence, il n’est pas satisfait. Enfin, il parle.
« Vous n’êtes toujours pas prêt pour la ceinture noire. Réfléchissez et revenez dans un an. »
Un an plus tard, l’étudiant se met à genoux une fois de plus devant le Sensei. Et là encore le Sensei demande : « Quel est le vrai sens de la ceinture noire ?
– La ceinture noire représente le début – le début d’un voyage sans fin. Le voyage de la discipline, du travail et de la quête d’un niveau toujours plus élevé, dit l’étudiant.
– Vous êtes désormais prêt à recevoir la ceinture noire et commencer votre travail » dit le Sensei en souriant.
Quant au prof d’université, cela serait vraisemblablement plus compliqué, mais il me semble que je définirais là aussi la révolution agile en lui prenant un exemple : celui des expériences de laboratoire de physique où l’on est capable de prouver des choses en laboratoire non reproductibles dans un environnement naturel, par exemple en faisant une expérience sous vide d’air. L’organisation classique du travail prévoit des procédures pour tout et pour tous, pensées par des gens supérieurement intelligents et qui rationnellement et intellectuellement sont très satisfaisantes. Pourtant, elles ont un gros souci : elles ont été pensées en laboratoire, sans penser aux grains de sable, or les grains de sable sont partout. Une entreprise est soumise à de multiples aléas en permanence, et à trop spécialiser les personnes dans une tache trop décrite et trop bornée, sans donner forcément une vision plus large de la tache globale à effectuer, elle empêche chacun de pouvoir s’auto-organiser pour pouvoir aller donner la main à celui qui se retrouve d’un seul coup sous les feux de la rampe. Un autre exemple : essayez de décrire les procédures comme vous le faites tous les jours pour un joueur de handball ou de rugby. Au-delà de 3 ou 4 principes, cela sera contre-productif et vous tomberez dans le micromanagement. L’équipe sportive ou au boulot peut et doit s’organiser. Si elle veut être performante, il faut par contre repenser souvent les objectifs et les relations sociales – la sociocratie et l’holacratie – pour des visions de systèmes globaux aboutis.
Tu conseilles aux RH de lire le manifeste agile, et de l’appliquer à leur quotidien. Qu’est-ce que ce manifeste, où le trouver, et quelles grandes leçons peuvent en tirer les RH ?
Ce manifeste se trouve partout, mais pour aller à sa source, le mieux est d’aller sur le site du manifeste agile. Il a été édité par 17 experts du développement informatique afin de fédérer leurs méthodes autour de leurs points communs. On se positionne d’habitude plus sur ce qui divise, rien qu’en cela cette démarche mérite attention. Je vais donc essayer de la synthétiser rapidement et d’illustrer avec quelques exemples à l’attention des RH.
Le manifesto est centré autour de 4 valeurs exprimées comme suit :
- Les individus et leurs interactions plus que les processus et les outils : amis RH, arrêtons de nous cacher derrière le droit social et les procédures, rentrons dans l’arène et battons-nous, allons travailler la partie humaine de notre acronyme au corps à corps et arrêtons le pilotage Excel et Lefebvre de notre fonction.
- Du logiciel qui fonctionne plus qu’une documentation exhaustive : et si on arrêtait de produire du papier et qu’on se concentrait sur la motivation des collaborateurs ?
- La collaboration avec les clients plus que la négociation contractuelle : mieux vaut un engagement verbal tenu qu’un contrat de travail tellement travaillé juridiquement qu’il met le salarié dans la défiance avant même qu’il ait songé à travailler.
- L’adaptation au changement plus que le suivi d’un plan : ai-je besoin de commenter ou vous avez reconnu la GPEC de votre entreprise dans la notion de plan au sens quasi stalinien du terme ?
Et 12 principes :
- Notre plus haute priorité est de satisfaire le client en livrant rapidement et régulièrement des fonctionnalités à grande valeur ajoutée. N’oublions pas la finalité de nos fonctions, on se focusse trop souvent sur les taches intermédiaires en perdant le but.
- Accueillez positivement les changements de besoins, même tard dans le projet. Les processus agiles exploitent le changement pour donner un avantage compétitif au client.
- Livrez fréquemment un logiciel opérationnel avec des cycles de quelques semaines à quelques mois et une préférence pour les plus courts : plutôt que d’impulser des « changements bigbang », n’hésitez pas à tester des petits changements. Très souvent, vos équipes seront d’autant moins réticentes au changement.
- Les utilisateurs ou leurs représentants et les développeurs doivent travailler ensemble quotidiennement tout au long du projet : impliquez autant que faire se peut vos salariés et/ou syndicats dans les réflexions en amont.
- Réalisez les projets avec des personnes motivées. Fournissez-leur l’environnement et le soutien dont ils ont besoin et faites-leur confiance pour atteindre les objectifs fixés : ne pas transformer vos collaborateurs en simple exécutants et leur confier une vraie sphère de responsabilités – qui implique un certain degré d’autonomie – est central quelle que soit la fonction, c’est ce qui permet d’éviter l’effet grain de sable décrit plus haut.
- La méthode la plus simple et la plus efficace pour transmettre de l’information à l’équipe de développement, et à l’intérieur de celle-ci, est le dialogue en face à face : oubliez la note de service et passez au stand-up meeting et au management visuel.
- Un logiciel opérationnel est la principale mesure d’avancement : quelques soient les KPI que l’on choisit, le principal est que l’organisation fonctionne, non ?
- Les processus agiles encouragent un rythme de développement soutenable. Ensemble, les commanditaires, les développeurs et les utilisateurs devraient être capables de maintenir indéfiniment un rythme constant. Ceci insiste sur un point crucial : on manque de lucidité quand on demande 120 % à tout le monde tout le temps, on s’empêche de prendre du recul et d’améliorer le fonctionnement.
- Une attention continue à l’excellence technique et à une bonne conception renforce l’agilité.
- La simplicité – c’est-à-dire l’art de minimiser la quantité de travail inutile – est essentielle. Pour cela, les agilistes ont une arme absolue : le ROTI, retour sur temps investi. Par exemple, avec les cinq doigts de la main, je vote sur l’utilité d’une réunion d’un poing fermé, qui signifie j’ai vraiment perdu mon temps. A cinq, je n’aurais pas pu mieux utiliser ce temps. C’est simplissime… le faites-vous ?
- Les meilleures architectures, spécifications et conceptions émergent d’équipes auto-organisées : le leadership plutôt que le management hiérarchique, le leader référent peut changer en fonction de la phase d’un projet.
- À intervalles réguliers, l’équipe réfléchit aux moyens de devenir plus efficace, puis règle et modifie son comportement en conséquence : trop souvent, on réfléchit à sa place et cela ne fonctionne pas.
Tu opposes le concept de « Ressources Humaines » à celui de « Flux d’énergies renouvelables ». Peux-tu nous expliquer la différence entre les deux, et quel impact cela a sur les représentations des RH ?
« Ressource » est un terme qui a une consonance minière, on exploite une ressource et elle s’épuise. Un flux d’énergie est différent : il faut pouvoir l’entretenir et c’est justement l’entretien de cette énergie qui permet aux collaborateurs de rester engagés et motivés, c’est sur cette tension bénéfique qu’on devrait pouvoir travailler. Du coup, en termes de représentativité, on se doit d’être moins comptable et plus sur le vif.
A te lire, on croit rêver : la motivation plus que la compétence, le plaisir, la valeur, le leadership comme principes prioritaires en entreprise. Comment est-ce possible selon toi de « libérer » les entreprises, et de leur faire faire un si grand changement de point de vue ?
Heureux déjà que ça fasse rêver plutôt que d’effrayer. On y travaille, en agilistes, par petites touches, en faisant expérimenter avec certaines équipes et en partant de problèmes rencontrés, en termes de comportement ou d’efficacité. On peut commencer par un problème criant l’efficacité des réunions, l’agilité apporte énormément d’outils pour les rendre moins longues, plus interactives, plus productives. On peut ensuite travailler sur l’objectivation, privilégier l’objectivation quantitative collective et qualitative individuelle, bref comme disent les anglais « when there is a will there is a way », l’intérêt étant que la plupart du temps, quand on initie cela quelque part, on nous en redemande et cela s’étend assez largement dans l’entreprise. Le changement est en marche, ne ratez pas le train.
Puisqu’on te tient, on va te demander, comme aux 4 experts qui t’ont précédé, de tester notre réseau social/appli mobile, qui correspond au besoin de fluidifier la rencontre entre recruteurs et candidats en situation de handicap : lereseautalenteo.fr. Après 5 minutes de navigation, qu’en penses-tu ?
Déjà j’aime bien son aspect et son ergonomie « fruitée » qui positionne le handicap dans une position dynamique et gaie, et pas misérabiliste et cela fait du bien à tous, personne en situation de handicap comme entreprise car c’est la bonne manière de l’aborder. Au-delà de toute idéologie, accueillir une personne handicapée est une chance pour votre entreprise, cela va vous obliger à penser non seulement l’accueil de cette personne mais votre processus d’onboarding pour chaque collaborateur. Enfin, en tant qu’outil, le réseau est clair et fonctionnel. Un seul regret de mon point de vue : il manque une API sociale qui me permette de me connecter avec mon compte Google, LinkedIn, ou autre.
Merci à Vincent Rostaing pour ses passionnantes explications sur la révolution agile !
Et vous, comment définiriez-vous la révolution agile ? Avez-vous des questions à lui à Vincent Rostaing ?
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